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Un peu partout, l’intelligence artificielle (IA) fait l’objet de discussions. Le compte rendu des dernières avancées peut sembler de l’ordre de la science-fiction; parfois utopique, parfois apocalyptique. Pourtant, la réalité de l’IA sur le terrain est beaucoup plus nuancée. Par exemple, au University Health Network (UHN) de Toronto, où je suis médecin en chef, nous utilisons l’IA pour établir le calendrier de traitement du cancer par radiothérapie depuis une dizaine d’années. Le temps de planification par cas est ainsi passé de quelques heures à quelques minutes i. L’IA a également permis de rationaliser le travail des médecins spécialistes de l’oncologie, de la radiothérapie et de la physique sans grandes perturbations de leur pratique ii. En présence de mécanismes de contrôle et de surveillance de la qualité, l’utilisation de l’IA est sécuritaire et bénéficie aux patients et patientes grâce à l’augmentation de la capacité de traitement.
De nouvelles applications d’IA font constamment leur apparition dans nos hôpitaux, notamment dans les domaines du monitorage cardiaque et des soins intensifs. Plus récemment, l’IA a permis d’introduire dans l’ensemble de nos services hospitaliers un système d’alerte précoce qui signale à l’équipe clinique les signes vitaux annonciateurs d’une détérioration potentielle chez la personne soignée. Ces transitions complexes entraînent le besoin de nouvelles compétences au sein de notre équipe. Nous avons donc recruté à la haute direction un chercheur en intelligence artificielle iii. L’adoption de cette technologie en contexte clinique doit prendre en compte de nombreux aspects, notamment les enjeux juridique et éthique, l’atténuation des risques et l’incidence sur les patients, les patientes et le personnel.
L’adoption de l’IA en formation aura également un effet transformateur. La capacité de l’IA générative de réussir un examen de certification médicale en a certainement fait réfléchir plusieurs iv. Le Collège royal a créé un groupe de travail sur l’IA en 2019, et a tenu trois panels de recherche sur l’avenir de l’IA en formation médicale, dont le plus récent portait sur l’IA et l’évaluation. Des panélistes des quatre coins du monde ont discuté des dernières innovations, ainsi que des possibilités et des défis propres à la croisée de l’IA et de l’évaluation. Il s’agissait de la première discussion sur le sujet; de nombreuses autres suivront.
Visionnez l’enregistrement du forum de recherche tenu le 18 septembre 2024, intitulé : « À la croisée de l’évaluation et de l’intelligence artificielle générative : l’avenir est présent ».
L’IA influe déjà sur les examens. Étant donné que les processus d’examen sont riches en données et administrés par ordinateur, l’IA a été introduite avec succès dans des domaines comme la génération automatique de questions et les tests adaptatifs par ordinateur. Ces innovations promettent de réduire non seulement la charge de travail liée à la création des examens, mais aussi le temps nécessaire pour les passer. Si suffisamment de ressources humaines participent à la création des examens pour vérifier le contenu généré par ordinateur et surveiller le déroulement et les résultats des examens informatisés, il s’agira là d’utilisations précieuses et peu risquées de l’IA.
En revanche, l’évolution rapide du traitement du langage naturel, qui ravive la possibilité des tests écrits et même de la rédaction de dissertations, est un peu plus problématique. Comme l’a souligné la professeure Shiphra Ginsburg, M.D., FRCPC, Ph. D., M.Ed. lors du panel, l’évaluation du langage est plus nuancée et contextuelle que l’évaluation de données numériques. Elle ajoute que, même si l’efficacité de l’IA est déjà bien établie pour des tâches linguistiques (comme la rédaction de procès-verbaux) et pour résumer les consultations grâce à l’écoute ambiante, le recours à l’IA exige encore une vigilance particulière au moment de juger la qualité de notes médicales, de dissertations ou, éventuellement, de lettres de recommandation.
Comme l’IA peut gérer plusieurs types de données simultanément, l’analytique de l’apprentissage est un domaine florissant. Le professeur Martin Pusic, M.D., FRCPC, Ph. D., qui prône depuis longtemps les courbes d’apprentissage pour mesurer la croissance, prévoit l’intervention de l’IA dans la collecte de données de sources multiples, ainsi que l’intégration et l’interprétation de cette information afin d’illustrer la progression des apprenant·es au fil du temps par rapport aux trajectoires prévues. Une telle démarche améliorerait les modèles d’approche par compétences en formation fondés sur l’acquisition graduelle de compétences. Enfin, on mise sur l’analytique de l’apprentissage pour s’écarter de la pratique traditionnelle qui consiste à tenir la plupart (voire la totalité) des évaluations à enjeux élevés à la fin de l’apprentissage, plutôt que de constantes évaluations à faibles enjeux assorties d’une rétroaction, un modèle dont l’efficacité supérieure est scientifiquement démontrée.
Une autre innovation dans ce domaine provient des applications d’apprentissage d’une langue assisté par appareil mobile, auxquelles quiconque disposant d’un téléphone intelligent peut accéder facilement. Le milieu de l’éducation médicale commence aussi à explorer cette approche, car les données probantes indiquent clairement que la répétition espacée contribue à l’apprentissage et à la mémoire. Après tout, l’étude de la médecine exige la maîtrise d’un nouveau langage et l’application répétitive de concepts scientifiques de base, ce qui revient un peu à apprendre la grammaire de la science.
Cela dit, il ne faut pas négliger les mises en garde bien éclairées (dont celle de Geoffrey Hinton, récent lauréat du prix Nobel v), qui appellent à la prudence et à l’action pour prévenir les conséquences nuisibles. Certaines d’entre elles sont encore inconnues, tandis que d’autres sont bien définies, comme les bases de données biaisées; l’autonomie excessive de l’ordinateur; les hallucinations informatiques; et par-dessus tout, la valorisation de l’efficience au détriment de la présence humaine, nécessaire à la prestation de soins compétente et à une guérison efficace. À mes yeux, le plus grand risque réside dans le fait d’accorder une importance excessive à la collecte de données en milieu de soins de santé, de sorte que la communauté apprenante et le personnel clinique se sentent constamment surveillés.
Tous les établissements de soins de santé ont des décisions difficiles mais importantes à prendre au sujet de l’IA, y compris le Collège royal, qui dirige actuellement une conversation nationale sur l’utilisation de l’IA en médecine et en formation. Nous avons hâte d’organiser d’autres panels sur l’interaction de l’IA et de la formation médicale; j’espère que vous vous joindrez à nous dans cette aventure.
Brian
Brian Hodges, M.D., FRCPC, Ph. D.
Président
Le Dr Hodges est le 47e président du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. Il est vice-président de l’Éducation et médecin en chef à l’UHN de Toronto; professeur à la faculté de médecine Temerty de l’Université de Toronto et à l’École de santé publique Dalla Lana; Senior Fellow au Collège Massey; et psychiatre en exercice.
i Conroy, L., Winter, J., Khalifa, A., Tsui, G., Berlin, A. and Purdie, T.G., 2024. Artificial Intelligence for Radiation Treatment Planning: Bridging Gaps from Retrospective Promise to Clinical Reality. Clinical Oncology.
ii Gillan, C., Milne, E., Harnett, N., Purdie, T.G., Jaffray, D.A. and Hodges, B., 2019. Professional implications of introducing artificial intelligence in healthcare: an evaluation using radiation medicine as a testing ground. Journal of Radiotherapy in Practice, 18(1), pp.5-9.
iii https://www.uhn.ca/corporate/News/Pages/UHN_becomes_first_Canadian_hospital_to_appoint_Chief_AI_Scientist.aspx
iv Kung TH, Cheatham M, Medenilla A, Sillos C, De Leon L, Elepaño C, Madriaga M, Aggabao R, Diaz-Candido G, Maningo J, Tseng V. Performance of ChatGPT on USMLE: Potential for AI-assisted medical education using large language models. PLOS Digit Health. 2023 Feb 9;2(2):e0000198. doi: 10.1371/journal.pdig.0000198. PMID: 36812645; PMCID: PMC9931230.
v https://mitsloan.mit.edu/ideas-made-to-matter/why-neural-net-pioneer-geoffrey-hinton-sounding-alarm-ai